Au moment où nous célébrons la 10e Journée africaine de l'alimentation scolaire, nous nous trouvons à un carrefour critique dans la lutte contre l'analphabétisme, la pauvreté et la malnutrition.
Observée chaque année le 1er mars, cette journée célèbre les progrès accomplis et constitue un moment privilégié pour réfléchir aux défis et aux possibilités d'atteindre l'objectif ambitieux de la Coalition pour les repas scolaires, qui est de fournir à chaque enfant scolarisé un repas sain et nutritif d'ici à 2030.
Les programmes d'alimentation scolaire sont largement reconnus comme des interventions éducatives qui non seulement améliorent la nutrition des élèves, mais facilitent également l'accès à l'éducation et augmentent les taux d'assiduité et de rétention. Il est prouvé que les repas scolaires, tout en contribuant à l'apprentissage et à la santé des enfants, augmentent également leur potentiel productif plus tard dans la vie.
En outre, lorsqu'ils font partie d'un ensemble plus large d'investissements dans l'éducation, ces programmes d'alimentation aident à maximiser le retour sur investissement et contribuent à réduire la pauvreté à long terme. Ils ne se contentent pas de fournir de la nourriture aux enfants ; il s'agit d'investissements stratégiques qui permettent de progresser dans la réalisation de plusieurs Objectifs de développement durable (ODD), notamment l'éducation, la santé, l'agriculture, l'énergie et le développement économique.
Chaque dollar investi dans l'alimentation scolaire rapporte 9 dollars, ce qui a un impact direct sur l'amélioration de l'éducation, de la santé, de l'agriculture et des résultats économiques.
Au-delà des écoles, les avantages de ces programmes d'alimentation peuvent être encore accrus par la mise en place de partenariats entre les écoles et les petits exploitants agricoles locaux. Les programmes d'alimentation scolaire à base de produits locaux offrent la possibilité d'améliorer les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles et de renforcer le lien entre la nutrition et l'agriculture.
Le fait de lier les écoles à la production locale augmente également la durabilité et est essentiel pour la transition des programmes d'alimentation scolaire vers des programmes nationaux durables.
Cependant, alors que nous approchons de la mi-parcours de l'objectif de la Coalition pour les repas scolaires, nous nous heurtons à des obstacles importants.
Le déficit de financement nécessaire au maintien et à l'extension de ces programmes se creuse. Les investissements et les dépenses consacrés aux repas scolaires ont diminué, menaçant de faire dérailler les gains de développement durement acquis au cours de la période précédant la conférence COVID-19.
Par exemple, sur les 3 milliards de dollars de subventions et de financements multilatéraux promis pour les repas scolaires dans les pays du Sud, moins de 300 millions de dollars ont été collectés et versés, ce qui expose des millions d'enfants au risque de souffrir de la faim et de perdre des opportunités d'éducation.
En outre, entre 2020 et 2022, le financement des donateurs et le soutien international ont diminué de 6 %, passant de 267 millions de dollars en 2020 à seulement 214 millions de dollars en 2022.
La nécessité d'un financement innovant
Pour assurer la poursuite et la durabilité des programmes de repas scolaires, il est impératif d'explorer des modèles de financement novateurs en vue d'une mise à l'échelle.
Les modèles de financement innovants et évolutifs offrent une voie prometteuse pour combler le déficit de financement et mobiliser les 6,8 milliards de dollars supplémentaires nécessaires pour que chaque enfant puisse recevoir un repas sain et nutritif à l'école d'ici à 2030.
En tirant parti de partenariats avec des entités du secteur privé, des organisations philanthropiques et des organisations internationales, nous pouvons créer des flux de financement durables pour soutenir ces programmes vitaux à long terme.
Des pays comme le Brésil, qui ont investi dans des programmes nationaux d'alimentation scolaire, ont enregistré des progrès dans d'autres domaines liés aux ODD, notamment l'éducation, la santé, la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l'accès à l'énergie.
Si de nombreux pays africains ont fait preuve de beaucoup d'ambition et d'engagement, notamment en mettant en place des politiques nationales d'alimentation scolaire, les ressources financières nécessaires à un investissement durable dans ces programmes restent insuffisantes.
Ce défi est particulièrement aigu dans les pays à faible revenu (PFR), où le paysage des ressources est marqué par la baisse des contributions des donateurs, les pressions fiscales et l'augmentation des niveaux d'endettement.
Transformer la dette en opportunité
La conversion de la dette en aide alimentaire, qui consiste à annuler la dette d'un pays en échange d'un engagement à investir dans des programmes alimentaires tels que les repas scolaires, peut servir d'outil politique efficace ayant un fort potentiel pour déclencher des investissements catalytiques dans les ODD, et ce de deux manières principales :
S'attaquer à la mauvaise gestion des ressources
Tout d'abord, un échange dette contre nourriture axé sur la mise en place et le renforcement de systèmes nationaux dotés de cadres juridiques et réglementaires solides permettrait de s'attaquer à la mauvaise gestion des ressources.
Collectivement, les pays africains perdent chaque année entre 500 et 600 milliards de dollars générés mais non mobilisés. Cela représente près de la moitié du montant nécessaire pour atteindre les ODD d'ici 2030.
Renforcer la mobilisation des ressources nationales
Deuxièmement, des systèmes robustes de mobilisation des ressources nationales peuvent servir de puissants mécanismes de réduction des risques et de renforcement de la confiance, permettant aux pays africains de mobiliser plus efficacement les ressources nationales et d'accéder aux marchés financiers internationaux, tout en renforçant la transparence fiscale et les mécanismes de responsabilité qui atténuent le risque perçu par les créanciers.
Pour que la conversion de la dette en aide alimentaire soit réellement transformatrice et ait un impact durable, elle doit être intégrée à de solides capacités de mobilisation des ressources nationales, en tirant parti de l'infrastructure publique numérique pour plus d'efficacité et un suivi en temps réel.
En renforçant leurs systèmes nationaux et en déployant une infrastructure publique numérique, les pays africains peuvent améliorer la collecte des recettes, qui représentent actuellement 16,6 % du PIB, pour atteindre des niveaux viables, ce qui permettra d'investir dans des programmes essentiels tels que la santé, l'éducation, la protection sociale et les repas scolaires.
L'infrastructure publique numérique joue un rôle crucial dans l'amélioration de l'efficacité des systèmes nationaux. En intégrant les innovations numériques, les pays peuvent améliorer le suivi et la gestion des flux économiques nationaux, garantissant ainsi une plus grande transparence et une meilleure efficacité dans la génération, le déploiement et l'allocation des ressources.
Par exemple, des plateformes numériques telles que « School Connect » du PAM, actuellement opérationnelle dans plus de 20 pays, sont utilisées pour rationaliser l'intégration des programmes d'alimentation scolaire dans des systèmes de protection sociale plus larges. Ces plateformes permettent d'améliorer le ciblage et l'allocation des ressources.
Recommandations de politique générale
Pour garantir l'extensibilité et la durabilité des programmes de repas scolaires dans toute l'Afrique, les recommandations politiques suivantes sont essentielles :
Investir dans la mise en place de systèmes nationaux solides: Intégrer l'infrastructure publique numérique pour renforcer les efforts de mobilisation des ressources nationales.
Utiliser les échanges dette contre nourriture : Utiliser ces échanges comme des mécanismes de réduction des risques et de renforcement de la confiance dans les systèmes de gouvernance de l'Afrique.
Aligner l'alimentation scolaire sur les priorités nationales de développement : Veiller à ce que les programmes d'alimentation scolaire soient intégrés dans des programmes de développement national plus larges.
La couverture universelle des repas scolaires en Afrique n'est pas seulement un impératif moral, c'est un investissement stratégique dans l'avenir du continent.
En adoptant des mécanismes de financement novateurs tels que les échanges de dette contre nourriture et en renforçant les systèmes de gestion des risques de catastrophes, les pays africains peuvent mobiliser les ressources nécessaires pour fournir à chaque enfant un repas sain et nutritif à l'école.
Cela permettra non seulement de relever les défis immédiats du continent tels que la paix et la sécurité, la réduction de la pauvreté, la malnutrition et l'insécurité alimentaire, mais aussi de soutenir les objectifs de développement à long terme et d'accélérer les progrès vers les agendas 2030 et 2063.
Dr. Tshuma est un responsable des politiques de programme (PAM), détaché auprès du conseiller spécial des Nations Unies pour l'Afrique.